Tu étudies l'informatique et, en même temps, tu fais la une des journaux du monde entier en tant que cavalier de saut d'obstacles. En raison de ton choix d'études, on pourrait penser que tu es une personne technique, analytique et structurée. Ces qualités sont-elles également utiles à un cavalier de saut d'obstacles ?
Je pense que pour moi, les études d'informatique ont toujours été un peu un équilibre par rapport au saut d'obstacles. Cette dualité entre mon côté analytique et technique et mon côté émotionnel et intuitif est caractéristique de ma personnalité. En tant que cavalier de saut, on travaille avec des chevaux. Cela demande beaucoup de sensibilité et d'émotions.
De quelles compétences un cavalier de saut d'obstacles de niveau international a-t-il besoin ?
Je pense qu'il faut être fondamentalement une personne calme. On travaille avec des animaux. Les chevaux sont des animaux de fuite. Dans notre sport, il y a toujours des surprises. Il faut savoir les gérer. En tant que cavalier, il est important de prendre le temps de comprendre pourquoi le cheval se comporte ainsi et pas autrement, et de ne pas tirer de conclusions hâtives. En tant que cavalier de saut, il faut donc beaucoup de patience, de sensibilité et de calme. En outre, il faut être rapide sur le parcours. Il y a beaucoup de cavaliers de saut d'obstacles qui peuvent réussir un parcours sans faute et qui ne gagneront pourtant jamais un Grand Prix, tout simplement parce qu'ils ne sont pas assez rapides. Pour gagner des courses, il faut être rapide. Enfin, il faut beaucoup de passion pour ce sport. Le saut d'obstacles prend énormément de temps. Il faut passer beaucoup de temps avec les chevaux. S'il n'y a pas de passion pour le sport et les chevaux, on n'atteindra jamais le sommet.
Comment devenir un cavalier rapide ?
C'est dans le sang. Lorsque l'on chevauche rapidement vers un obstacle, cela ressemble à une épreuve de courage. On ne peut alors pas hésiter. Ce courage me caractérisait déjà lorsque j'étais enfant. J'ai souvent pris des risques. Mes premiers entraîneurs devaient toujours me freiner un peu.
Que se passerait-il si un cavalier amateur montait un cheval comme Gamin ? Serait-ce même possible ?
Un cheval de saut d'obstacles de la classe de Gamin exige du cavalier énormément de sensibilité. Un cavalier amateur ne serait pas à la hauteur avec un tel cheval. Les chevaux sont des animaux de fuite. Si le cheval sent que quelque chose ne va pas, il suit son instinct naturel. Le cavalier amateur donnerait alors des ordres trop forts, de sorte que le cheval réagirait de manière excessive.
Comment décrirais-tu ta relation avec les chevaux ?
Il y a une règle générale qui dit qu'il n'est pas possible de réussir au plus haut niveau avec un cheval si l'on n'a pas passé au moins six mois avec lui auparavant. Je compare cela à une amitié. Il faut beaucoup de temps pour que la confiance s'installe entre le cheval et le cavalier. On vit ensemble des moments agréables et difficiles. Dans un processus continu, on apprend à mieux se connaître et à mieux tenir compte des forces et des faiblesses de l'autre.
Comment crée-t-on la confiance chez un cheval ?
Il y a deux aspects : D'une part, il faut tout simplement passer beaucoup de temps avec le cheval, pas seulement en le montant. Il faut laisser au cheval le temps de s'habituer à son cavalier. Lorsque j'arrive dans l'écurie, le cheval doit me reconnaître et savoir qu'il n'a rien à craindre en ma présence. Les chevaux d'obstacle voyagent dans le monde entier. Il est donc important qu'il y ait des points fixes dans son quotidien, comme le palefrenier ou moi. Le cheval trouve alors le calme. D'autre part, il y a le temps que nous passons en tant que cavaliers en selle. Le cheval et moi acquérons toujours de l'expérience. Avec le temps, le cheval sait ce qu'il peut attendre de moi. En même temps, je connais les situations dans lesquelles un cheval donné se sent bien et j'essaie de créer cette situation le plus souvent possible sur le parcours.
Comment doit-on s'imaginer une journée de compétition ?
Je me rends généralement à une compétition avec deux ou trois chevaux, parfois jusqu'à cinq. Le matin avant une compétition, je monte les chevaux une première fois, je passe 40 à 45 minutes sur chaque cheval, sans que nous ne sautions. Je dois savoir dans quel état d'esprit et dans quelle humeur se trouvent les animaux. Plus tard, le parcours est effectué. Deux à trois heures avant l'épreuve, je retourne une nouvelle fois à l'écurie. Les chevaux sont échauffés, là encore sans sauter. Je vérifie que le volant et le tressage fonctionnent, tout ce dont j'aurai besoin en compétition. Une demi-heure avant le parcours, le cheval est à nouveau échauffé, avec quelques sauts. Cette séance est courte, il ne faut pas que le cheval perde trop de force et d'énergie. Ses muscles sont déjà échauffés par l'avant-dernière séance.
Que se passe-t-il avec les chevaux pendant ce temps ?
Les chevaux sont toujours pris en charge par leur palefrenier, qui est toujours présent dans les écuries. De même, les écuries sont très surveillées lors des compétitions, de sorte que seules les personnes autorisées peuvent se trouver dans ces zones. J'ai la chance de pouvoir compter sur un excellent palefrenier qui passe beaucoup de temps avec les chevaux. De nombreux cavaliers n'ont pas cette chance. Ils passent alors beaucoup de temps à l'écurie avant la compétition, ce qui leur coûte beaucoup d'énergie, énergie qui leur fait ensuite défaut lors de la compétition.
Tes chevaux ne t'appartiennent pas, ils te sont seulement prêtés. Comment faut-il se représenter cette construction ?
Il y a le propriétaire du cheval. Dans mon cas, il s'agit de deux personnes qui possèdent mes chevaux. En dehors des compétitions, les chevaux se trouvent dans une écurie. Mes six chevaux sont sous la garde de Thomas Fuchs à Wängi. En tant que cavalier, je participe aux primes de succès que je gagne avec chaque cheval. Je suis responsable du cheval, même s'il est mis à l'écurie chez Thomas Fuchs. Le propriétaire du cheval reçoit la majeure partie des primes, mais en contrepartie, il prend également en charge les frais du cheval et son acquisition. Dans de nombreux cas, les chevaux qui réussissent sont ensuite vendus avec un bénéfice. Heureusement, ce n'est pas mon cas. Les deux propriétaires de mes chevaux ne les considèrent pas comme de simples objets d'investissement, mais prennent plaisir à pratiquer le sport équestre. Le palefrenier est employé par moi. L'un des grands défis du saut d'obstacles consiste à se créer, en tant que cavalier, une structure optimale qui offre les meilleures conditions possibles pour la réussite sportive. De très nombreux acteurs sont impliqués.
En tant que profane, on s'imagine que c'est difficile lorsque le cheval est vendu par son propriétaire en cas de succès ?
C'est en effet très frustrant et très difficile sur le plan émotionnel. En tant que cavalier, on développe une relation très émotionnelle avec le cheval et on s'investit aussi beaucoup émotionnellement dans ces animaux. Selon moi, c'est la condition sine qua non de la réussite sportive. Le cheval le ressent si le cavalier ne le soutient pas à 100% sur le plan émotionnel. Si les chevaux sont ensuite vendus à un rythme élevé pour faire des bénéfices, le cavalier cesse un jour d'investir autant d'émotions dans les animaux. Le succès sportif est alors lui aussi menacé. Le propriétaire de Gamin, par exemple, est un Tessinois qui apprécie avant tout le sport équestre et le fait de voir son cheval en compétition. En outre, il est heureux de mettre un cheval de cette qualité à la disposition d'un jeune cavalier suisse et se fait un devoir de trouver le meilleur cheval possible. Son objectif n'est pas de faire des bénéfices.
Tes chevaux sont mis en pension chez Thomas Fuchs. Thomas Fuchs est également ton entraîneur. Quelle est sa part de responsabilité dans tes récents succès ?
Cela fait presque six ans que je m'entraîne avec Thomas Fuchs. Tous mes chevaux sont chez lui. C'est mon mentor. Je discute de chaque décision avec lui. A 17 ans, lors d'un entraînement du cadre de l'équipe, je me suis renseigné auprès de lui sur une bonne écurie dans les environs de Zurich. Je savais alors que je voulais quitter Genève. Il m'a dit qu'il y avait une bonne écurie, la sienne. C'était une grande reconnaissance de sa part que je sois logé avec mes chevaux dans son écurie. Cela m'a toujours rendu très fier. Les six premiers mois, j'ai monté ses chevaux en compétition. Il m'a également conseillé sur la structure de mon équipe et m'a aidé à mettre en place mon système. C'est un énorme coup de chance pour moi. Sans lui, mes succès n'auraient pas été possibles.
Avec combien de chevaux travailles-tu actuellement ?
Je travaille actuellement avec six chevaux. Actuellement, je n'ai pas assez de jeunes chevaux. Nous essayons actuellement de trouver une solution.
Comment faut-il s'y prendre ?
Thomas Fuchs recherche de jeunes chevaux appropriés. Il discute ensuite avec moi des options possibles et nous les présentons à d'éventuels acheteurs qui, à leur tour, mettent les chevaux à ma disposition.
Cela ressemble à un solide travail d'équipe. En regardant tes photos de concours, on a le sentiment général qu'il existe une forte cohésion entre les cavaliers de l'équipe suisse.
L'ambiance au sein de l'équipe suisse est particulièrement bonne. Le saut d'obstacles est certes un sport individuel, mais il implique tellement de personnes différentes qu'il faut toujours une équipe qui fonctionne bien en arrière-plan. De plus, il y a des compétitions par équipe où l'équipe est au premier plan. Nous passons beaucoup de temps ensemble lors des compétitions et partageons une passion commune pour les chevaux. Cela crée des liens. Enfin, chacun d'entre nous sait que notre sport est aussi marqué par le hasard. Nous travaillons avec des chevaux. Il n'est pas toujours possible de tout planifier. Il y a des jours où le cheval ne veut tout simplement pas. Il faut l'accepter. Ce n'est pas en forçant qu'on fait passer un obstacle à un animal de 600 kg. Le cheval doit avoir du plaisir et se sentir bien dans ce qu'il fait.
Qu'est-ce qui te fascine dans le saut d'obstacles ?
Les chevaux m'ont toujours fascinée. Ce qu'il y a de plus beau dans notre sport, c'est cette unité entre le cheval et son cavalier. Lorsque ce sentiment de fusion totale entre le cheval et le cavalier s'installe, lorsque la confiance et la compréhension mutuelles profondes conduisent le cheval et le cavalier à abandonner leur prudence, que chaque mouvement se fait naturellement sans contrainte et que chaque mouvement donne l'impression d'être un seul et même flux, c'est tout simplement un sentiment indescriptible.